GASTON COUTE

 

 L'insurrection poétique

 

Par

 

 BRUNO DARAQUY

 

 

2024! Qu’est ce qui peut bien valoir à Gaston Couté, mort en 1911 à l’âge de 31 ans, une audience que bien d’autres poètes ont perdu?

 

La réponse est dans ses textes. Ecoutez les et comparez deux époques. Jugez s’il y a quelque chose de changé fondamentalement dans la société.

 

L’injustice, l’hypocrisie, la veulerie, la couardise, le nationalisme, la connerie… Autant de maux qui nous sont familiers et d’attitudes qui nous habitent parfois…

 

Le sourire aux lèvres et le couplet joyeux à l’esprit, Gaston Couté a fustigé l’hypocrisie sociale et cinglé le vice humain.

 

Poète rustique, ce «Mistral de la Beauce» a chanté la splendeur de la nature, célébré la vie et prêché l’amour.

 

 

 

 

«Si Rictus est trop souvent écarté des manuels de littérature,(…) par contre Gaston Couté est tout simplement ignoré par tous les historiens de la littérature. (…) Que Couté ait écrit en patois beauceron, cela ne me semble pas une excuse suffisante. Ou bien alors il faudrait enlever Mistral de la littérature française.

 

(…) Il y a peu de chantre de l’ouvrier agricole. Qui pourrions nous citer avant Couté? Qui après?

 

Les Gourgandines, L’Idylle des grands gâs comme il faut et des jeunesses convenables, Le Christ en bois sont avec La Chanson d’un gâs qu’a mal tourné, les meilleures pages de Couté. Je veux dire qu’elles sont excellentes, sans une fausse notes, d’un rythme soutenu (…) Oui, je le redis, encore aujourd’hui, Gaston Couté est un grand poète et si Léon Daudet écrivait qu’il donnerait bien tout Leconte de Lisle pour un vers de Rictus, plus généreux, je donnerais volontiers tous les parnassiens et la moitié des romantiques pour ces quatre poèmes de Couté»

 

 

 

Michel RAGON Histoire de la littérature prolétarienne de langue française

 


 

Gaston Couté, l’amour anarchiste

 

 

 

 

 

 

 

Je n’imaginais pas avoir autant de difficultés à parler de mon rapport à l’œuvre de Gaston Couté.

 

En fait, je ne me suis jamais demandé pourquoi j’avais rejoins la cohorte de ses interprètes. Comme disait Montaigne à propos de son amitié avec La Boëtie, je pourrais dire: «Parce que c’était lui, parce que c’est moi». Voilà qui dirait tout et ne dirait rien.

 

Gaston Couté est né le 23 septembre 1880 à Beaugency près d’Orléans. Peu de temps après, la famille Couté s’installe à Meung sur Loire où son père, meunier, exploite le moulin de Clan baigné par la rivière Les Mauves.

Le moulin de Clan

 

 

Il est intéressant de noter que Meung vit – avant Couté – Jean de Clopinel (dit Jean de Meung) qui, au XIIIème siècle termina le Roman de la Rose inachevé par Guillaume de Lorris.

 

Au milieu du XIVème, François Villon y fut emprisonné par l’évêque d’Orléans.

 

 

Gaston Couté fréquente l’école communale de St Ay et, plus tard, le lycée Pothiers à Orléans. L’institution scolaire est peut-être à la racine de l’esprit insoumis du poète.

«Dans les temps qu’j’allais à l’école

 

   Où qu’on m’voueyait jamais bieaucoup,

 

   J’voulais pas en fout’ un coup…»

 

 

 

Il préfère les longues promenades dans la campagne beauceronne ce «grand liv’ ousqu’on peut apprend’ sans la peine de lir’».

 

Ce qui ne l’empêche pourtant pas d’admirer Hugo ou Zola et surtout François Villon qui écrivit entre autre :

 

 

 

«Ho Dieu! Si j’eusse estudier

 Au temps de ma jeunesse folle

 Et à bonnes mœurs dédié

 J’eusse maison et couche molle

 Mais quoy? Je fuyoie l’escolle

 Comme fait le mauvay enfant...»

 

 (Le grand testament)

 

 

En 1896, à l’occasion du passage à Meung d’une petite troupe de théâtre, Couté fera ses premiers pas sur scène. A l’issue de la représentation, on demande si quelqu’un dans l’assemblée désire se faire entendre. C’est là que Gaston Couté, tout jeune, s’approche timidement de l’estrade et interprète un de ses poèmes: «Le Champ d’naviots». Nous sommes à l’époque où Jehan Rictus est déjà fort célèbre à Montmartre et, en octobre 1898, à peine âgé de 18 ans, le poète beauceron débarque à Paris avec quelques poèmes et une centaine de francs.

 

 

 

Dés ses débuts dans les cabarets montmartrois, il obtient un grand succès mais ses «cachets» ne lui permettent pas de vivre décemment. Couté va d’hôtels en hôtels et d’absinthes en absinthes. Sa santé décline assez rapidement malgré les quelques voyages au pays où il tente de se ressourcer.

 

En 1910, il collabore à des journaux anarchistes ou antimilitaristes comme La Barricade, Le Libertaire et surtout, La Guerre Sociale que dirige Gustave Hervé.

 

Les privations, l’alcool et la maladie auront raison du poète qui s’éteint épuisé, seul, dans un lit de l’hôpital Lariboisière le 28 juin 1911 à l’age de 31 ans. Gaston Couté fut inhumé le 1er juillet   1911 dans le cimetière communal de Meung sur Loire.

 La rivière "Les Mauves"

«Notre Dame des Sillons!

 

Ma bonne Sainte Vierge à moi!

Notre Dame des Sillons

 Dont les anges sont les grillons

 O terre! Je reviens vers toi!

 (…)

 Je reviens vers celle

 Dont le sang coule dans mon sang

 Et dont le grand cœur caressant

 Aujourd’hui m’appelle.»

 

Le Commissaire de Police, chef de la 3ème brigade à Monsieur le Directeur des recherches

 

 

 

J’ai l’honneur de faire connaître qu’il ne s’est produit aucun incident au cours de la surveillance exercée hier par des inspecteurs de ma brigade à l’occasion des obsèques du chansonnier révolutionnaire Gaston Couté, décédé à l’hôpital Lariboisière.

 

Le corps a été conduit à la gare d’Orléans – Austerlitz, où il est arrivé à 04h50 pour être dirigé à Meung sur Loire (Loiret). Environ deux cents personnes, parmi lesquelles on a remarqué ALMEREYDA, Victor MERIC, DOLIE, VIVIER et ACHILLE, ont suivi le convoi qui est parti de l’hôpital précité

 

Signé: le Commissaire de Police.

 

 

Gaston Couté, malgré la longue «parenthèse» de 14-18 et les tentatives pour étouffer son nom n’a jamais été oublié. Le grand public ne la connaît pas mais son œuvre est restée dans quelques mémoires. En outre, comme le dit Roger Gauthier, fondateur de l’Association des Amis de Gaston Couté: «L’œuvre de Gaston Couté est tellement dispersée que personne ne la connaît dans son ensemble. J’ajouterai même que personne ne la connaîtra jamais, car il est des poèmes et des chansons perdus pour toujours (…) Des chansons écrites sur le premier papier venu, dans le bruit et la fumée d’une salle de café ou la rédaction fiévreuse d’un journal parisien, de telles chansons s’envolent au moindre vent et peuvent disparaître.»

 

 

Il y a une bonne vingtaine d’années que je tourne autour de cette œuvre comme un chat hésitant. J’ai découvert Couté en furetant dans les rayons d’une librairie. La chanson d’un gâs qu’a mal tourné, le titre était déjà tout un programme…

 

J’ai ensuite découvert les enregistrements de Gérard Pierron et Bernard Meulien qui sont sans doute ceux de ses interprètes qui ont le plus contribué à sortir Couté des oubliettes. Plus tard, j’ai eu la chance d’applaudir Jacques Florencie à Bordeaux.

 

Entre Couté et moi, il y a d’abord un lien affectif parce que la langue qu’emploie Couté dans une grande partie de son œuvre est celle de mon arrière-grand-père. A quelques détails près, ils parlaient le même patois, cette langue d’oïl, ce langage témoin de l’ancien français. Tous deux étaient aussi anticléricaux convaincus. Je n’ai pas oublié ses «croacroa» quand nous croisions sur le chemin du marché une bonne sœur ou un curé. Quand j’ai découvert Couté, c’est d’abord le souvenir de ce grand-père qui m’est revenu.

 

Ma rencontre avec Gaston Couté passe donc d’abord par le cœur. Une langue familière et un anarchisme de bon sens emprunt parfois de naïveté m’ouvraient toutes grandes les portes de son œuvre.

 

Je ne voulais pas replacer Gaston Couté dans un contexte particulier ou dans une époque. Peu m’importe au fond qu’il soit d’origine paysanne, qu’il fut un-des-plus-important-chansonnier-de-Montmartre-du-début-du-siècle-dernier. Son œuvre va bien au-delà de et sa contemporanéité est évidente.

 

 

 

Ce qui est succulent chez Gaston Couté c’est son art de passer du rire au drame en quelques phrases.

 

Dire ses textes sans grossir le trait alors qu’ils vous y incitent constamment, rester maître de l’interprétation sans se noyer dans chaque mot ou dans l’émotion constitue pour moi le plus délicat de mon travail de comédien.

 

 

 

A part dans quelques chansons d’actualité, fruits de sa collaboration aux journaux militants, l’ont peut dire que Gaston Couté est un poète engagé sans être pamphlétaire. Il ne défend pas une idée, encore moins une idéologie. Il ne prétend pas, il constate, dépeint puis suggère comme une évidence la voie libertaire.

 

 

 

« Mais les pauv’s électeurs c’est pas des bêt’s coumm’ d’aut’s

 

Quand l’temps est à l’orage et l’vent à la révolte… I’s vot’nt ! »

 

 

Son regard aigu et tendre sur le monde et les individus m’apparaît comme une éternelle invitation à l’amour.

 

 

 

« Leu politiqu’ empêche pas les fleurs d’êt’ joulies » ; « Vivons la vie ! Vivons là en restant des houmm’s tout bonn’ment »

 

 

 

C’est en tous cas ainsi que je le vois et que je l’ai abordé.

 

Il me semble que tout au long de ses écrits Couté nous dit que la solution, les solutions, à nos maux, notre mal de vivre est en nous et qu’il suffirait presque de nous débarrasser de nos préjugés, de nos vieilles morales hypocrites – comme le naturiste quitte ses vêtements – pour que le «vieux monde» se craquelle et tombe (enfin) en poussière.

 

Si un mot, un seul, devait qualifier l’œuvre de Couté ce serait: Tendresse.

 

 

Mais il est aussi un poète

 

de la révolution. Pour lui,

 

               la poésie doit être sociale

et engagée, il n’a que faire

 

de cette poésie qui n’existe

 

« …qu’ su’ l’devant des estrad’s,

 

qu’au pied des monuments ! »

 

Cette poésie qui a

 

« douz’pieds pour mieux sauter

 

par-dessus vous souffrances ».

 

 

Il y a de nombreux textes auxquels je n’ai pas encore osé toucher comme Les p’tits chats, Idylle des grands gars comme il faut et des jeunesses bien sages… autant de textes qui abordent la question de l’avortement, de la société bien pensante, ce monde cruel «qui crucifie les vierges et les putains au nom d’la mêm’ morale».

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

- Gaston Couté, La chanson d’un gâs qu’a mal tourné, œuvres complètes, St Denis, Le Vent du Ch’min, 1976, 5 volumes et un glossaire des mots patoisants

 

- Ringeas et Coutant, L’enfant perdu de la révolte, Paris, Vieux St Ouen, 1953

 

- P.V. Berthier, Gaston Couté la vérité et la légende, Villeneuve St Georges, Les Cahiers du CPCA, 1980

 

- M.J. Palma Borrega, Gaston Couté un gâs de la belle époque qu’a mal tourné, Paris, CNT-RP – Le Vent du Ch’min, 2004.

 

 

SITE GASTON COUTE:

http://gastoncoute.free.fr/

 

 

 

 

 

 

 

GASTON COUTE – REPERES

 

 

 

 

 

Naissance, le 23 septembre 1880 à Beaugency (Loiret). Son père était meunier au moulin des Murs.

 

 

 

1882 : La famille Couté s’installe au Moulin de Clan, sur la rivière « Les Mauves », à 9 Km de Meung-sur-Loire.

 

 

 

1885 : Première année scolaire à l’école communale de St Ay.

 

 

 

1886 : Couté « poursuit ses études » à l’école communale de La Nivelle (commune des faubourgs de Meung-sur-Loire).

 

 

 

2 mai 1889 : La sœur aînée de Couté épouse Emmanuel Troulet, garçon charcutier, qui deviendra l’associé de son beau père, puis Maire de Meung, etc.

 

 

 

1891 : 11 ans, reçu au certificat d’étude primaire.

 

 

 

1892 : Couté « poursuit » au cours complémentaire de Meung-sur-Loire.

 

 

 

1895 : Juin : il échoue au Brevet élémentaire.

 

Septembre : il entre au lycée Pothier à Orléans.

 

 

 

1896 : Premier récit de Couté édité dans la « Meunerie Française ».

 

 

 

1897 : À partir d’avril, Couté (sous le pseudonyme de Gaston Koutay), donne des textes à la « Revue littéraire et sténographique du Loiret ».

 

En décembre, il quitte le lycée Pothier.

 

 

 

1898 : Il est commis auxiliaire à la Recette Générale d’Orléans, puis muté à la Perception d’Ingre (près d’Orléans) puis reporter au « Progrès du Loiret ».

 

Soirée chansonnière de la tournée Castello.

 

31 octobre : Couté arrive à Paris. Quelques jours difficiles et il débute au cabaret « Al Tartaine » Bd Rochechouard.

 

 

 

1899 : Autres cabarets.

 

Septembre : voyage à Gargilesse (près de Châteauroux) avec Maurice Lucas.

 

 

 

1900 : Conseil de révision : Couté est ajourné. Il sera plus tard réformé définitivement.

 

 

 

1902 : Période de succès dans les cabarets.

 

 

 

1906 : 25 juillet : numéro spécial illustré par Grandjouan, des « Chansonniers de Montmartre ».

 

 

 

1910 : Couté collabore à la revue « La Barricade » et à « La Guerre Sociale » avec des chansons d’actualité.

 

 

 

1911 : 28 juin : décès à l’Hôpital Lariboisière.

 

1er juillet : inhumation dans le cimetière communal de Meung-sur-Loire.